ZOM-FAM de Kama La Mackerel

© Aun Li and Kai Yun Ching, Éditions Métonymie

Un partage de Mariève Maréchale

20 août 2020

ZOM-FAM, dont le titre veut dire homme-femme, personne trans, en créole mauricien, est un livre de poésie d’une grande beauté écrit par l’artiste multidisciplinaire, traducteurice et éducateurice Kama La Mackerel, originaire de l’Île Maurice, et maintenant basé·e à Tio’tia :ke (Montréal). Iel est un·e habitué·e des scènes queer Montréalaises, ayant même contribué à en créer une (GENDER B(L)ENDER), sur lesquelles iel lit, expose et performe, toujours dans un esprit de décolonialité, d’amour et de guérison. Rédigé en anglais, avec plusieurs passages en créole, son premier livre (qui sera également une performance présentée au MAI du 6 au 10 octobre 2020) s’inscrit parfaitement dans cette pratique.

Sous la forme d’un conte poétique, La Mackerel invoque dès les premières lignes avec une force puissante et une grande tendresse une lignée de divinités féminines, mais aussi de femmes humaines. Ces dernières sont décédées sous la torture ou tombées dans l’oubli après avoir été arrachées de leur continent pour travailler les champs de ce qu’on appelle aujourd’hui l’île Maurice et avoir sombré dans la mer, d’autres sont vivantes mais étranglées par des silences sans noms, et d’autres encore, Zom-Fam comme l’auteurice, doivent être inventées pour retrouver leur dignité. Cet hommage semble s’inscrire dans une perspective narrative queer « magico-mythique » partagée par plusieurs écrivaines marginalisées du Canada anglophone (on pense au magnifique livre de Kai Cheng Thom Fierce Femmes and Notorious Liars: A Dangerous Trans Girl’s Confabulous Memoir, au roman Scarborough de Catherine Hernandez ou encore au troublant Sub Rosa d’Amber Dawn).

Cette invocation se fait armure contre la hantise de l’inouïe violence coloniale, de classe et patriarcale affectant encore aujourd’hui les corps, les genres et les liens entre habitant·es de l’Île Maurice. Elle initie un parcours de résilience poétique dont l’imaginaire et les relations qu’il rend possible sont ici transformatrices et d’une élégance rare. Dans un décor multi-temporel de champs de cannes à sucre, de parfum de mélasse et d’indépendance politique, on entend les conversations de femmes dans la cuisine embaumée d’odeurs d’épices, de plantes et d’océan — regroupement de femmes auquel se mêle très tôt l’auteurice. À travers des sujets comme la mobilité sociale, la valorisation et la transmission de savoirs oraux et corporels d’ancêtres ou de parents proches, ZOM-FAM se présente comme un appel mythique aux deuils non-résolus, aux genres antagonistes et aux corps malmenés, fourbus et calleux, pour transformer l’île de plantation en une île d’inscription, d’habitation, en lieu de tous les possibles et toutes les appartenances. La poésie de La Mackerel, pleine de souffle, voire de brises, rappelle que la guérison s’inscrit dans une dynamique à la fois personnelle et communautaire. Sa recherche ouvre le passé, les conversations et les cœurs, à l’image de la pratique riche et multimodale de l’artiste.

Texte cité

LA MACKEREL, Kama (2020), ZOM-FAM. Montréal: Éditions Métonymie.

2 thoughts on “ZOM-FAM de Kama La Mackerel

  1. Maurice Vaney Reply

    À qui m’adresser si notre organisme Festival de contes et récits de la francophonie de Trois- Pistoles voudrait inviter Kama La Mackerel?

    • Pierre-Luc Landry Post authorReply

      Bonjour Maurice Vanez,
      Nous vous suggérons de contacter directement l’artiste. Veuillez visiter son site web (https://lamackerel.net/) — où des informations de contact sont disponibles (notamment celle-ci: “You can get in touch with them at kama@lamackerel.net“).
      Bonne journée!

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