Quelles configurations?

Au format hybride, le Groupe de travail et d’expérimentation sur l’indiscipline propose des rencontres indéfinissables, qui peuvent tenir (sans exclusivité ni exhausitivté) des conférences académiques, des rencontres d’artistes, des performances, des échanges interartistiques, des happenings, des forums de discussion, des tables rondes, des expositions, des installations, des colloques, des journées d’études et d’autres prestations encore à inventer. Nous multiplions les manières de prendre la parole afin de permettre à la réflexion d’émerger sous différentes formes, sans que celles-ci ne soient conditionnées par quelques contraintes institutionnelles que ce soit. Le comité permanent déploie donc tous les efforts nécessaires pour accommoder / accompagner les participant⋅e⋅s, qui pourront inventer leurs propres conditions de transmission du savoir.

Fondé en 2019, le groupe est animé par Étienne BEAULIEU, Stefania BECHEANU, Nathalie FILSER,  Pierre-Luc LANDRY et Myriam SUCHET et accueille / sera ravi d’accueillir toute personne intéressée à réfléchir de manière collégiale à la notion d’indiscipline. Devenir membre du groupe est gratuit et sans condition de statut, casquette, identité nationale ou autre.

Le groupe est transnational : les membres proviennent de tous les horizons géographiques. Le travail se fera en français, principalement, mais nous accueillons avec joie les initiatives hétérolingues permettant de décloisonner la réflexion.

Ce site web fédérateur et évolutif nous permet de réunir tous les membres du groupe et de faire valoir les travaux qui sont réalisés aux quatre coins du monde. Les activités du groupe sont aussi fréquentes que l’implication des membres le permet.

Indiscipline?

Myriam Suchet écrit, dans son livre intitulé Indiscipline! Tentatives d’univercité à l’usage des littégraphistes, artistechniciens et autres philopraticiens, que «[l]’indiscipline […] est une relativement mauvaise notion théorique. Son efficacité ne se mesure pas a priori : elle s’expérimente, elle s’expérience, elle s’essaye et c’est son impact qui la fait exister.» (2016 : 6) Dans cette optique, Myriam ne propose pas de définition de l’indiscipline; plutôt, sur une centaine de pages, elle en explore les origines conceptuelles, les applications, et les virtualités pour le champ universitaire et pour le monde de la création artistique. Au départ, donc, se trouvent quelques textes qu’elle cite dans un «repèretoire» (terme inventé par Daniel Canty) qui n’est pas une bibliographie annotée, mais qui s’en approche en même temps que des notes de lecture. Nous retenons ici, en guise d’introduction, deux interventions théoriques sur la question qui nous permettent de penser, en collégialité avec une multitude d’intellectuel⋅le⋅s et de praticien⋅ne⋅s, des projets et des espaces de dialogue indisciplinaires et indisciplinés.

D’abord, Myriam retourne aux textes de Laurent Loty, chargé de recherche en lettres modernes au CNRS. Pour Loty, «[a]u-delà de la pluri-, inter-, ou transdisciplinarité, l’indisciplinarité élabore le sens de la recherche hors discipline.» (cité par Suchet, 2016 : 80) Il ajoute, à propos du choix du terme, que «l’invention d’un mot est parfois nécessaire pour lutter contre le poids des idées inscrites en nos mémoires de génération en génération. Si ce mot […] paraît utile, c’est qu’il peut aider à rejeter l’apprentissage de la soumission qui va souvent de pair avec le respect des disciplines. C’est aussi qu’il permet de souligner l’insuffisance de la pluri-, de l’inter-, ou même de la transdisciplinarité, au regard […] de l’enseignement, de la recherche, et de leurs fonctions dans la société.» (cité par Suchet, 2016 : 81) Pour Viviane Huys, chercheuse en histoire de l’art et cofondatrice de l’Institut InDisciplinAire de Grenoble, «[a]lors que la pluridisciplinarité consiste en une juxtaposition des analyses en fonction de points de vue disciplinaires différents, l’interdisciplinarité suppose, elle, d’organiser un dialogue entre les disciplines selon une dialectique qui vient enrichir l’analyse de l’objet. Enfin, la transdisciplinarité qui a pour ambition le transfert conceptuel d’une discipline à l’autre a, en réalité, peu à voir avec l’indisciplinarité. Cette dernière concerne davantage l’exploitation des zones de frottement entre disciplines» (citée par Suchet, 2016 : 85-86). De cette manière, la démarche indisciplinaire va au-delà de la juxtaposition, du dialogue ou du transfert: elle semble proposer, plutôt, de s’attarder aux marges, aux no man’s land, aux espaces laissés en friche, aux non-lieux et aux espaces de transit entre les disciplines qui, fondues les unes dans les autres, ouvrent absolument les perspectives tout en refusant la discipline, justement, c’est-à-dire la soumission, la domestication, l’obéissance.

Dans cette mesure, donc, nous envisageons l’indiscipline comme une résistance. «Parce que la discipline est une violence incorporée», écrit Myriam Suchet, «l’indiscipline est nécessairement subversion et transgression, exercice d’un contre-pouvoir.» (2016 : 76) Toutefois, à qui est réservée cette résistance? Peut-elle s’exprimer en dehors des lieux privilégiés que sont l’université, l’école d’art, la pratique artistique établie? Quels usages les communautés marginalisées peuvent-elles faire de la notion d’indiscipline? S’agit-il d’une appropriation culturelle, d’un privilège, ou d’une véritable éthique du travail intellectuel et artistique libre? À cet effet, nous souhaitons aussi explorer les ponts à établir entre l’indiscipline et les études queer, les théories décoloniales et les savoirs autochtones, par exemple. Nous souhaitons explorer les possibilités offertes par la notion d’indiscipline en allant toutefois au-delà d’une terminologie contraignante trop attentive aux débats épistémologiques pointilleux sur les concepts de pluri/inter/trans/multidisciplinarité; nous cherchons, plutôt que de cimenter le langage, à le faire exploser : c’est par la création, quelle qu’elle soit, et par le geste artistique et intellectuel, que le sens de l’indisciplinarité émerge. Nous souhaitons penser l’indisciplinarité à la lumière de la discipline – terme connoté s’il en est un – et dans un esprit de brouillage des frontières, d’action éthique et politique, de liberté radicale.

Textes cités

HUYS, Viviane (2013). «Le caractère indisciplinaire de l’enquête en histoire de l’art médiéval», dans Cygne noir, numéro 1. [en ligne]

LOTY, Laurent (2005). «Pour l’indisciplinarité», dans Julia DOUTHWAITE et Mary VIDAL (dir.),The Interdisciplinary Century; Tensions and Convergences in 18th-Century Art, History and Literature. Oxford : Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, p. 245-259.

SUCHET, Myriam (2016). Indiscipline! Tentatives d’univercité à l’usage des littégraphistes, artistechniciens et autres philopraticiens. Montréal : Nota Bene (coll. «Indiscipline»).